Dans cette courte rédaction, je vais aborder un sujet trop souvent oublié dans l’histoire religieuse des Afro-Américains : l’islam chez les esclaves aux États-Unis. Les esclaves noirs, à leur arrivée dans le Nouveau Monde, sont pour la plupart païens. C’est par le prosélytisme chrétien qu’au fil des générations se crée une « Église noire ». Aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, l'Amérique est encore dépourvue d’imams libres, et pourtant on constate une présence musulmane chez une minorité d’esclaves. Ces esclaves musulmans se démarquent premièrement par leur foi dissidente, mais aussi par leurs connaissances. En effet, les esclaves musulmans sont souvent des fils de marchands ou de nobles victimes de malchance, ce qui explique leur maîtrise de l’anglais et de l’arabe, ainsi que leur éducation exemplaire. Ils connaissent la Bible et le Coran sur le bout des doigts.
Puisqu’il est question de religion, il faut déterminer : que pense l’Islam de l’esclavage ? Que pensaient les abolitionnistes de l’esclave musulman ? Ici, il s’agit de déterminer si ces premiers musulmans sur le territoire américain représentent réellement le début de l’histoire de l’Islam en Amérique. Dans cet exposé, nous aborderons plusieurs personnages iconiques, esclaves ou ex-esclaves noirs et musulmans pour répondre à la problématique posée.
Dans le Coran, rien n’interdit l’esclavage ; Mahomet lui-même possédait des esclaves. Bien au contraire, le texte apporte une législation autour de cette pratique. Par exemple, le verset 7 de la sourate XXIII autorise le maître à coucher avec ses esclaves.
Bien que le Coran accepte l’esclavage, des esclaves musulmans tentèrent un soulèvement au Salvador : la révolte des Malês (je sais que nous sortons du pays de l'Oncle Sam).
Le 25 janvier 1835, à la fin du mois du ramadan, plus de 600 esclaves musulmans — pour la plupart alphabétisés dans les écoles coraniques et capturés lors de guerres entre royaumes africains dans les années 1830 — se réunissent pour tenter de prendre la ville. La révolte est rapidement réprimée, entraînant la destruction de symboles du culte musulman ainsi qu'une répression des pratiques religieuses des esclaves.
L’Amérique du Nord et les États-Unis ne connurent pas de telles révoltes menées par des musulmans, mais la présence de ces esclaves différents des autres suscitait l’étonnement, voire le malaise, chez les maîtres, sans pour autant provoquer de violence particulière. Ce type d’esclave éduqué et imprévisible attira vite l’attention des abolitionnistes.
Comme le précise l’article sur la révolte des Malês dans le livre Les mots de l’esclavage en Amérique, les esclaves musulmans sont pour la plupart lettrés et unis par une foi commune qui crée un fort sentiment d’unité.
Bien sûr, cette révolte violente ne fut pas un argument abolitionniste, mais elle permit de montrer la figure d'un esclave religieux, séditieux et intelligent — une vision bien différente du « nègre » qu’il faudrait protéger de sa propre sauvagerie tout en le maintenant dans l’ignorance. Les premiers noirs musulmans sur le sol américain savaient lire et écrire en plusieurs langues. Dès le XVIIIᵉ siècle, l’apparition de l’Islam dans les plantations créa une hiérarchisation dans l’esprit des maîtres, qui considéraient l’Islam supérieur aux croyances païennes mais inférieur au Christianisme.
L’Islam apparaît alors dans les débats comme la preuve d’une existence de civilisation chez l’esclave noir. Cependant, il ne faut voir aucune islamophilie de la part des abolitionnistes : l’argument religieux n’était qu’un moyen de contrer les partisans de l’esclavage. Les deux camps considéraient Mahomet comme un faux prophète et son message comme une erreur. Pour l’évêque abolitionniste Benjamin Bosworth Smith, les Africains musulmans sur le territoire américain devaient être convertis au christianisme afin de faciliter l’expansion de la religion dans le monde arabophone. L’argument de la potentielle utilité religieuse de ces esclaves déjà éduqués fut alors mis sur la table. Parmi ces premiers musulmans, certains se démarquèrent, laissant leur nom dans l’Histoire et illustrant le destin du Noir musulman chez l'Oncle Sam.
Omar Ibn-Said laissa derrière lui quelques écrits, dont une autobiographie qui rejoint les témoignages d’autres esclaves sur la vie dans les plantations. Né vers 1770, descendant d’une riche famille peule, il passa 25 années à étudier la théologie islamique, l’arithmétique et le commerce. Capturé en 1807 lors d’un conflit entre Peuls et Bambaras, il fut vendu à des marchands d’esclaves. D’abord acheté par un maître à Charleston, il s’enfuit, puis fut repris et vendu à James Owen, frère du gouverneur de Caroline du Sud. Vers la fin de sa vie, il se convertit au christianisme, mais la sincérité de cette conversion reste débattue : ses écrits continuent de faire référence à l’Islam, et son dernier écrit fut la copie en arabe d’une page du Coran. Il mourut esclave en 1864, à l’âge de 94 ans.
L’œuvre d’Omar Ibn-Said doit sa singularité au fait qu’il s’agit de la seule autobiographie d’esclave rédigée en arabe — un détail essentiel, car l’arabe était incompris des maîtres, permettant à Omar de critiquer leur comportement. Sa résistance passa donc par l’écrit et par la religion, en s’appuyant sur un Coran qu’il estimait condamner le système esclavagiste des plantations.
Qu’est-ce qu’un « nègre » ? C’est la question que pose Ibrahim Abdulrahman. Né en 1762 dans une famille noble de Timbo, il fut réduit en esclavage après une campagne militaire ratée, vendu aux Britanniques puis à un planteur du Mississippi. Surnommé « le prince des esclaves » en raison de ses origines nobles, il se hissa rapidement au rang de contremaître dans une plantation de coton — un poste qui lui donnait le droit de posséder son propre potager, source de revenus. Ce comportement atypique attira l’attention du rédacteur en chef du Southern Galaxy, Cyrus Griffin, qui lui consacra un article. Ibrahim Abdulrahman y affirma n’avoir « point de sang nègre » et se définir comme maure, rejetant ainsi son appartenance à la race noire qu’il jugeait inférieure. Pour lui, « nègre » ne désigne pas un homme à la peau noire, mais un homme réduit en esclavage, donc inférieur. Cette distinction entre noblesse et servitude préfigure le concept de « nègre blanc », apparu au XIXᵉ siècle pour désigner certains immigrés européens comme les Irlandais ou les Italiens. Son rapport aux autres esclaves illustre bien la complexité du statut des musulmans dans les plantations : la plupart étaient issus de familles aristocratiques ayant elles-mêmes pu posséder des esclaves.
Chez les ex-esclaves musulmans, un comportement fréquent fut de retourner en Afrique dès que possible. Ibrahim Abdulrahman abandonna ses enfants nés en Amérique pour rentrer au pays; Ayub Suleiman Diallo, imam réduit en esclavage, fit de même. Omar Ibn-Said, sans doute, aurait aussi saisi cette chance. Mais un homme fit exception : Yarrow Mamout.
Issu d’une famille riche, il fut réduit en esclavage vers 1752 et libéré en 1796. Grâce à des travaux rémunérés, il parvint à racheter sa liberté. Au lieu de rentrer en Afrique, il choisit de rester et devint investisseur pour la Columbia Bank de Georgetown dont il fut d'ailleurs le premier investisseur. Cette réussite lui permit de vivre paisiblement, fidèle à sa foi. En un sens, Yarrow Mamout fut le premier musulman à incarner ce qu’on appellera plus tard le rêve américain.
La vie des premiers musulmans en Amérique illustre la singularité de cette minorité déroutante pour des maîtres habitués à des « bons sauvages ». Il est difficile de parler d’un islam américain à cette époque, car la première mosquée aux États-Unis fut construite au XXᵉ siècle par un missionnaire d’origine indienne. Mais si l’on devait évoquer les débuts de l’Histoire des musulmans en Amérique en tant que groupe religieux, il faudrait, en effet, commencer par les esclaves noirs.
Nathalie Dessens et Richard Marin, Les mots de l’esclavage aux Amériques, Toulouse, Presses Universitaires du Midi, 2021.
Nadia Marzouki, L’islam, une religion américaine ?, Paris, Seuil, 2013.
Olivier Pétré-Grenouilleau, Dictionnaire des esclavages, Paris, Larousse, 2010.